Chère Vie d'avant,
Tu te souviens? Nous deux? Tu te souviens de nos nuits blanches, à refaire le monde? Tu te souviens de mon premier appartement, rue de Verneuil dans le 7eme? Quand je n'avais plus de quoi m'acheter une chouquette quand le loyer etait payé.Ce studio où il fallait faire le poirier et cligner d'un oeil pour apercevoir la Tour Effeil depuis ma salle de bain. Celui où j'avais une petite dependance de 9m2 dans le couloir dans laquelle j'avais stocké mes fringues, et qu'il fallait que je sorte à poil dans le couloir du 6eme etage pour m'habiller. Ces mois à bosser pour pouvoir faire de la musique à côté, à passer devant la maison de Gainsbourg en lui murmurant que moi aussi, un jour, on tagguerait les murs de ma maison à coups de coeurs et de déclarations d'amour.
Ces nuits à me demander pourquoi je suis là, pourquoi je respire, pourquoi j'ai atteri dans cette existence là; au lieu de profiter de ma jeunesse.
Et puis tous ces déménagements, un peu partout. Tu te souviens de ces déménagements? A se demander pourquoi je ne suis pas capable de poser mes valises, déracinée du sol, de ceux qui comptent pour moi, de la vie elle même. Voyager, demenager, emmenager, refaire la déco, changer mille fois de boulot, sortir avec des garcons, rompre, pleurer. Vouloir faire de grandes choses pour changer le monde. M'insurger contre tout et n'importe quoi. Ne pas comprendre que le changement, c'est en soi qu'il s'opere. Apprendre à se connaitre. A savoir qui je suis.
Toi, ma vie d'avant, celle qui n'avait finalement pas beaucoup de saveur, tu me faisais croire qu'être trés mince, trés polie, trés audacieuse, trés intelligente, c'etait ca, reussir une existence.
Jamais tu ne m'a appris qu'être en vie, c 'est etre soi même.
J'ai du me debrouiller et m'en rendre compte toute seule. J'en ai eu marre de me rendre des comptes à longueur de temps. Alors j'ai refait une fois encore mes valises, et puis j'ai decidé de me chercher, moi. Et rien d'autre. Plus de carriere artistique dans un showbizz merdique. Plus de frequentations tristes, sans couleur, grisonantes. Plus de coeur en miettes à ramasser sur le parquet. Plus de concessions, plus de depression nerveuse, plus de kilos emotionnels.
Se reparer.
De ce que je me suis infligée toute seule, avec le temps et les experiences.
Se recoudre le coeur et se guerir l'âme, voici mon unique mission de vie.
Tu te souviens, vie d'avant?
Nos faux amis? Ceux qui ne donnent plus jamais signe de vie?
Ceux que j'ai si souvent invité à diner, que j'ai consolés, rassurés, raccompagnés.Ceux qui m'ont collé une lame entre les omoplates quand j'avais besoin d'eux mais qu'ils preferaient la chaleur de leurs lits, la douceur de leurs mecs, le confort de leurs petites vies minables. Ces filles que j'ai veritablement aimées, à qui j'ai proposé un job, des vacances, une fête d'anniversaire, et qui ont fini par me crever le coeur?
Et ces disputes stériles avec les parents? Celles qui traduisent un simple appel à l'aide.
Vie d'avant, tu n'as pas servi à rien non plus.
Tu m'as appris la temperance, la patience, le non jugement.
Tu m'as appris qu'on peut aimer un homme qui ne s'aime pas lui même alors qu'il fait croire tout le contraire aux autres, à coups de billets de banque, de videos sulfureuses prônant le développement personnel et l'amour de soi et des autres. Tu m'as appris qu'on peut quitter quelqu'un avec le coeur deformé par la violence du choc, et continuer pourtant de lui souhaiter le meilleur pour le reste de sa vie. Tu m'as enseigné qu'on peut être trompée, humiliée, bousillée, et que l'on finit toujours par se remettre de tout.
Tu m'as aussi appris à aimer dans la raison, non plus dans la passion. Ca peut paraitre triste et fade un mariage de raison. Oui,ca peut. Mais il suffit d'y ajouter un peu de piquant pour qu'il prenne de sacrées belles couleurs. Et croyez moi, rien ne vaut une union de raison. La passion détruit tout sur son passage. Elle n'ajoute aucune couleur, juste des larmes et du sang aux papiers peints. On apprend à aimer, on tente de pardonner, on teste l'amour propre et on se surprend à se trouver chouette, genereux et integre.
Parce que PERSONNE ne peut te tuer, toi, la Vie. Tu m'as enseignée qu'en fait, rien, rien, rien de rien à part notre propre bonheur enfoui en nous ne peut faire que l'on se sente en phase, ancré à nos racines, dans un sol fertile et riche. Rien ne remplace l'épanouissement personnel. Pas l'argent, pas le cul, pas la famille, pas les amis, pas la beauté, pas la culture. Juste soi, ce que l'on découvre lorsque l'on s'est trouvé. Son chateau dans les nuages.
Vie d'avant, je tenais simplement à te remercier.
Je suis toujours la même, mais plus vraiment.
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